Marseille–Nice : la privatisation qui voulait faire croire qu’elle inventait le train.
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Par Romain •
© Radio France - Fabien Le Du
Quand la région PACA a choisi de confier la ligne TER Marseille–Toulon–Nice à Transdev, on nous a rejoué la grande pièce du “privé innovant”, du “public archaïque”, de la “modernité par la concurrence”. C’était la promesse éternelle : l’efficacité allait enfin triompher, les trains allaient devenir ponctuels par la magie du marché, et l’usager, rebaptisé “client”, n’allait plus jamais attendre sur le quai. Quelques mois plus tard, après une grève massive, des trains supprimés à la pelle et des objectifs de ponctualité déjà enterrés, on se rend compte que cette révolution du rail ressemble davantage à un tour de passe-passe.
Quand le privé se pavane des succès du public
Il faut le rappeler : tout ce qui ressemble à une “amélioration” existait déjà avant Transdev. La fréquentation du TER en PACA était déjà en pleine explosion depuis des années. Entre 2019 et 2023, le nombre de voyageurs avait bondi de 20 %. Et rien qu’en 2023 : +10 % supplémentaires. Cette dynamique n’a rien d’un miracle privé : elle s’explique par les investissements publics massifs, les efforts d’amélioration de l’offre SNCF, l’explosion démographique et économique de la région, le coût de la voiture qui ne cesse de grimper. Autrement dit : le train redevenait populaire parce que la puissance publique faisait son travail. Transdev arrive en plein essor, se pose au milieu du champ en fleurs, et explique que c’est grâce à elle que tout pousse.
Une privatisation publique
Le plus ironique, c’est que cette privatisation n’a d’ailleurs rien de “privé”. Les trains neufs ? Payés par la région : environ 250 millions d’euros pour l’achat des rames. La maintenance ? Payée par la région, avec un atelier construit pour environ 40 millions d’euros. Les risques financiers ? Portés par la région. Et pour couronner le tout, le contrat global représente près de 870 millions d’euros d’argent public sur dix ans.
Pire encore : selon plusieurs syndicats, le “coût par kilomètre-train” pour la collectivité a augmenté d’environ 25 %, passant de 15,80 € avec SNCF à près de 20 € avec Transdev. Autrement dit, non seulement la privatisation ne fait pas faire d’économies, mais elle coûte plus cher pour un service qui n’est pas meilleur.
Ce modèle où les coûts sont publics et les profits privés n’a rien d’une exception française : c’est l’une des habitudes les plus tenaces de la doctrine européenne, qui adore ouvrir “à la concurrence” des secteurs où la concurrence n’a jamais fait ses preuves, mais où le capital est certain de trouver une bonne rente, bien sécurisée par les finances publiques.
Les promesses non tenues
Et comme souvent lorsqu’on applique une idéologie économique avant de regarder la réalité du terrain, tout commence à se fissurer. L’automne a offert un premier crash-test : grève, tensions, conditions de travail dégradées, recrutements précipités, agents transférés sans cohérence.
Les syndicats ont dénoncé des baisses de salaires, des primes supprimées ou réduites, la perte de certains avantages historiques, et une intensification du travail. Pour beaucoup de cheminots transférés, c’est une dégradation nette : plus de tâches, moins de stabilité, et une précarisation masquée sous l’étiquette “modernisation”.
Résultat direct : jusqu’à la moitié des trains supprimés certains jours. Pour une opération censée incarner la modernité et l’efficacité, c’est un baptême du rail plutôt embarrassant.
Quant à la fameuse ponctualité l’engagement contractuel de 97,5 % elle n’a même pas tenu un mois. On tourne autour de 95 %, soit moins que ce que Transdev promettait, et pas mieux que la SNCF qu’on venait pourtant juger comme trop lente, trop lourde, trop “publique”.
À cela s’est ajouté un autre scandale dénoncé par les syndicats : le retard de livraison des rames par Alstom, obligeant Transdev à louer des trains à d’autres régions pour pouvoir assurer le service. Une situation ubuesque qui a, selon eux, créé des risques de suppressions de trains ailleurs en France. Bref, un bricolage permanent, loin du récit officiel d’efficacité privée.
La fiction de la privatisation à tout prix
Mais la grande fiction, c’est surtout l’idée que le rail puisse fonctionner selon une de marché. Le chemin de fer n’est pas un supermarché où les entreprises s’alignent gentiment pour proposer des promos.
On obtient des trous, des incohérences, du stress et des dysfonctionnements. Les cheminots le savent, les voyageurs le vivent, mais Bruxelles continue d’y voir un exercice théorique passionnant.
Au fond, l’histoire est simple : ce n’est pas Transdev qui a amélioré quoi que ce soit. C’est la puissance publique : la région, l’État, les investissements, la vision collective. Elle a permis au TER de remonter la pente. Le privé ne vient pas réparer, il vient récolter. Et au passage, il impose sa logique de rentabilité dans un service qui n’a jamais été pensé pour être rentable, mais pour être utile.
Aujourd’hui, les usagers subissent les suppressions de trains, les cheminots encaissent la pression, voient leur rémunération baisser ou stagner, et le débat public se retrouve une fois de plus coincé entre une idéologie qui fantasme le marché et une réalité qui rappelle que certains secteurs ne fonctionnent que lorsqu’ils sont gérés collectivement.
On peut le dire sans détour : la privatisation n’a ni inventé le succès du TER, ni amélioré le quotidien des voyageurs. Elle a simplement récupéré un service porté par l’argent public, puis a ajouté une couche de chaos social.
Bref : c’est nul, et en plus, c’est inefficace. Et surtout, ça ne trompe plus personne à part ceux qui tiennent absolument à y croire.
