La suppression du créole au concours de l’agrégation 2026 : un recul politique et colonial.
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Par Romain •
La nouvelle est tombée discrètement, presque honteusement : le concours d’agrégation de créole n’aura pas lieu en 2026. Officiellement, il s’agirait d’une « suspension temporaire », justifiée par des « ajustements de besoins » et des « contraintes budgétaires ». Mais pour beaucoup, cette décision résonne comme un symbole d’abandon. Car le créole n’est pas qu’une langue : il est l’expression vivante d’une histoire, d’une mémoire et d’une résistance dans des territoires où la France prétend toujours incarner la République universelle mais où elle pratique trop souvent l’oubli organisé.
Une conquête arrachée de haute lutte
La reconnaissance du créole à l’agrégation n’est pas tombée du ciel. Elle fut le fruit de décennies de luttes menées par des enseignant·e·s, des militant·e·s et des chercheurs des Antilles, de Guyane et de La Réunion. Longtemps, le créole fut relégué à la sphère domestique, méprisé comme un « patois », exclu de l’école au nom d’un universalisme linguistique qui confondait unité et uniformité.
Lorsque le concours d’agrégation de créole fut enfin ouvert, c’était une victoire symbolique immense : la République reconnaissait, au moins sur le papier, qu’il existe plusieurs façons d’être français·e, plusieurs langues légitimes pour dire le monde. Ce n’était pas seulement une question d’enseignement : c’était une réparation partielle d’une violence coloniale persistante.
Un choix politique sous couvert de technocratie
La suspension du concours en 2026 n’est pas neutre. Sous les arguments techniques « manque de postes », « réorganisation des concours » se cache une hiérarchie implicite des langues et des territoires. Pendant que le breton, le basque ou le corse conservent leurs concours, le créole, lui, disparaît. Comme si les langues des Outre-mer pouvaient être traitées comme des options de second rang. Comme si les peuples créolophones pouvaient être réduits à un folklore.
Ce geste technocratique est en réalité un geste politique : il traduit le désintérêt profond de l’État central pour les réalités ultramarines. C’est une manière subtile mais efficace de défaire ce que des décennies de mobilisation avaient obtenu. Derrière cette « pause » se cache le retour d’une vieille logique coloniale : décider depuis Paris ce qui mérite d’exister, et ce qui peut être effacé.
Le symptôme d’un abandon plus large des Outre-mer
La décision s’inscrit dans un contexte plus large d’abandon progressif des Outre-mer. Qu’il s’agisse de l’éducation, de la santé ou de l’emploi, les inégalités territoriales persistent et s’aggravent. La suppression de l’agrégation de créole n’est qu’une pièce du puzzle : elle témoigne d’un désengagement de l’État vis-à-vis de tout ce qui incarne la spécificité et la dignité de ces territoires.
Elle renvoie à un imaginaire profondément jacobin : celui d’une France qui tolère la diversité à condition qu’elle reste silencieuse. Or, la langue, c’est le contraire du silence. C’est le droit de parler sa mémoire, de penser dans ses propres mots, de se transmettre sans filtre. En refusant de garantir cet espace, l’État envoie un message clair : la pluralité n’est acceptable que tant qu’elle ne coûte rien, ni symboliquement ni financièrement.
Défendre le créole, c’est défendre l’égalité réelle
Il ne s’agit pas ici de nostalgie culturelle. Défendre le créole à l’université, c’est revendiquer un principe d’égalité réelle entre tous les citoyens. C’est affirmer que la culture et la langue ne sont pas des privilèges de centre, mais des droits fondamentaux pour tous les territoires. C’est reconnaître que les langues issues de la colonisation, loin d’être des vestiges, sont des outils d’émancipation, de création et de savoir. La non-ouverture du concours de 2026 ne doit pas passer inaperçue : elle est un test de notre conception de la République. Une République qui refuse de voir la richesse linguistique de ses marges se condamne à n’être qu’un empire sans nom, un empire qui nie, encore et toujours, ce qu’il appelle « périphérie ».
Les syndicats enseignants des Antilles, les députés ultramarins et les associations culturelles ont commencé à réagir. Mais cette lutte dépasse la seule question du concours. Elle concerne la place de l’Outre-mer dans la communauté nationale, la légitimité des savoirs non métropolitains, et la possibilité même d’un récit commun non hégémonique. La défense du créole à l’agrégation est une bataille pour la justice linguistique, mais aussi pour la démocratie. Car une République qui n’écoute pas toutes ses voix n’en a plus qu’une : celle du pouvoir central. Et cette voix, aujourd’hui, sonne creux.
Laisser le créole disparaître, ce serait accepter qu’encore une fois, la France efface ses marges pour se croire une. Or, c’est dans ses marges qu’elle est la plus vivante. Frantz Fanon disait : « Parler, c’est exister absolument pour l’autre. » C’est cette existence, cet acte de dignité et de résistance, que la langue créole incarne et que l’État ne devrait jamais réduire au silence.
