L’Alliance du Déshonneur : quand la droite et l’extrême droite redessinent les règles du jeu européen.
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Par Romain •
Le vote qui a eu lieu hier au Parlement européen marque un véritable tournant dans l’histoire politique récente de l’Union. Pour la première fois sur un texte de cette importance, la droite traditionnelle et l’extrême droite ont voté ensemble pour soutenir un paquet législatif controversé : Omnibus I. Ce rapprochement, que beaucoup jugeaient encore improbable il y a quelques années, montre à quel point la dynamique politique européenne s’est transformée depuis les élections de 2024.
Qu’est-ce que le paquet Omnibus I ?
Omnibus I est un texte présenté par la Commission européenne comme un ensemble de « mesures de simplification » destinées à alléger les obligations administratives pesant sur les entreprises. L’objectif affiché est de réduire les coûts, d’accélérer la croissance et de rendre les règles européennes plus “lisibles”.
Dans les faits, ce paquet législatif modifie profondément plusieurs dispositifs clés adoptés entre 2020 et 2023 : des règles qui encadraient les comportements des entreprises en matière d’environnement, de transparence, de droits humains ou encore de gouvernance. Ces règles avaient été pensées à l’origine pour forcer les grandes entreprises européennes à rendre des comptes sur leurs chaînes d’approvisionnement, leurs impacts sociaux, leurs émissions de gaz à effet de serre, ou encore leurs stratégies climatiques.
Omnibus I change la donne : il relève les seuils d’application de ces règles. Cela signifie que seules les entreprises très grandes — celles dépassant plusieurs milliers d’employés ou des centaines de millions de chiffre d’affaires — resteront pleinement concernées. La majorité des groupes européens, jusque-là tenus de publier des rapports détaillés, seraient désormais exemptés.
Que change réellement ce vote ?
Le texte touche deux réglementations essentielles : la directive sur le reporting extra-financier (CSRD) et la directive sur le devoir de vigilance (CSDDD). En relevant les seuils, Omnibus I réduit drastiquement le nombre d’entreprises soumises à ces obligations. Cela diminue la quantité d’informations rendues publiques sur les impacts sociaux et environnementaux des activités économiques. Dans certains cas, l’obligation de mettre en place un plan de transition climatique disparaît. Dans d’autres, les mécanismes de responsabilité civile qui permettaient aux victimes de violations environnementales ou sociales de se retourner contre une entreprise sont renvoyés au niveau national, affaiblissant la cohérence européenne.
Les défenseurs du climat et des droits humains y voient un recul majeur : selon eux, ces règles avaient été obtenues au prix d’années de mobilisation, de négociations ardues et de compromis complexes. Leur affaiblissement représenterait un retour en arrière au moment même où les crises environnementales et sociales s’aggravent.
Pourquoi la droite et l’extrême droite ont-elles voté ensemble ?
Ce vote n'est pas un simple détail technique. Il révèle un changement profond de culture politique au sein du Parlement européen. Depuis les élections européennes de 2024, l’extrême droite a fortement progressé. La droite traditionnelle, fragilisée, cherche désormais à construire des majorités stables en s’alliant ponctuellement avec elle. Sur les questions économiques et réglementaires, ces deux familles politiques se rapprochent : toutes deux défendent une vision centrée sur la compétitivité, la réduction des contraintes administratives, et la volonté de limiter ce qu’elles perçoivent comme une “sur-régulation”.
Pour ces groupes politiques, alléger les obligations des entreprises est un moyen de renforcer l’industrie européenne face à la concurrence américaine et chinoise. Pour leurs opposants, c’est une vision à courte vue qui favorise les grands groupes au détriment des citoyens, des travailleurs et de la planète.
Pourquoi ce vote inquiète-t-il ?
D'abord parce qu'il s'agit d’un vote structurant. Il montre que des alliances inédites peuvent désormais s’opérer pour détricoter des pans entiers de la législation sociale et environnementale. Ensuite, parce qu’il réduit la transparence. Moins d’entreprises devront rendre des comptes, ce qui complique le travail des citoyens, des journalistes, des chercheurs et des ONG pour surveiller leurs pratiques.
Il y a aussi un enjeu de cohérence : l’Union européenne avait commencé à se positionner comme un leader mondial dans la régulation des multinationales. En affaiblissant ses propres règles, elle envoie un signal contradictoire à ses partenaires internationaux.
Enfin, ce vote est inquiétant car il ouvre la voie à une dynamique politique où la protection sociale, environnementale et climatique pourrait être sacrifiée sur l’autel de la compétitivité et du court terme.
Ce n’est pas fini : que va-t-il se passer maintenant ?
Le vote d’aujourd’hui ne scelle pas définitivement le sort d’Omnibus I. Il fixe seulement la position du Parlement européen. La prochaine étape consiste en une série de négociations entre le Parlement, la Commission et les États membres : les fameux trilogues. Dans ces discussions, tout peut encore évoluer. Certains États membres sont opposés aux reculs trop importants. D’autres souhaitent au contraire aller encore plus loin dans la dérégulation.
Des amendements peuvent être ajoutés, retirés, ou réécrits. La mobilisation citoyenne, médiatique et associative peut également peser : elle a déjà permis, dans le passé, d’éviter certaines régressions ou d’obtenir des compromis plus équilibrés.
Ne pas céder au fatalisme
Ce vote est un signal d’alerte, mais il n’est pas une fatalité. Il rappelle que les équilibres politiques changent et que rien n’est garanti à l’échelle européenne. Il montre aussi que l’action citoyenne, la vigilance médiatique et le travail des élus engagés restent indispensables. Le débat sur Omnibus I est loin d’être terminé : il va continuer dans les institutions, dans les États membres, mais aussi dans l’espace public. Et c’est précisément dans cet espace que la société civile peut encore influencer le résultat final.
L’Europe se trouve à un moment charnière : soit elle poursuit sa trajectoire vers une régulation ambitieuse et protectrice, soit elle renoue avec une logique de dérégulation qui a montré ses limites. L’issue dépendra des choix politiques à venir et de la capacité des citoyens à se mobiliser, s’informer et faire entendre leur voix.
