Nestlé Waters : l’eau minérale qui a avalé tout le plastique des Vosges.
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Par Anas •

Nestlé Waters, qui vendait la pureté des Vosges à prix d’or, se retrouve aujourd’hui accusée d’avoir bu la tasse jusqu’au plastique. Entre Hépar et Contrex, les microplastiques semblent avoir fait de la montagne leur nouvelle source, tandis que l’État et la justice tentent de tirer au clair ce qui relève de l’accident industriel ou de la négligence volontaire.
Le 9 août, des éléments d’une enquête de l’Office français de la biodiversité (OFB) sur les eaux minérales d’origine Nestlé (Contrex, Hépar) ont fuité dans la presse. Ils font état de concentrations de microplastiques inédites : ≈ 2 096 particules par litre pour Hépar et ≈ 515 /L pour Contrex, d’après les chiffres repris par plusieurs médias. Un magistrat évoque des niveaux « incommensurables ». Le groupe conteste catégoriquement. Au-delà de l’émoi, l’épisode éclaire trois nœuds : la preuve scientifique, la chaîne de responsabilité environnementale et la robustesse de la régulation.
Des chiffres qui bousculent les références
Les valeurs indiquées (≈ 2 096 /L et 515 /L) dépasseraient de plusieurs ordres de grandeur les concentrations observées dans les milieux naturels et dans des nappes phréatiques à l’échelle mondiale, selon les comparaisons rapportées par la presse à partir de la synthèse des enquêteurs. TF1info précise que les ratios vont « de 51 000 à 1,3 million » par rapport à des lacs et fleuves, et « de 5 à 2 952 » face à des moyennes de nappes. Ces ordres de grandeur, s’ils sont confirmés, placent ces eaux « pures » à contre-courant des références scientifiques usuelles.
Une causalité encore à établir
Au cœur de l’enquête, une hypothèse : des décharges historiques, à ciel ouvert, autour des sites vosgiens, auraient contribué à la contamination. Le dossier pénal vise justement ces dépôts : quatre sites totalisant environ 473 700 m³ de déchets (plastiques en majorité) sont mentionnés par l’AFP, avec un procès programmé du 24 au 28 novembre 2025. La preuve d’un transfert depuis les décharges vers les forages — par des voies hydrogéologiques documentées et une signature polymérique concordante — reste à instruire devant le tribunal. Autrement dit : l’existence de microplastiques et l’attribution précise de leur origine sont deux questions distinctes, et seule la seconde est aujourd’hui juridiquement ouverte.
Nestlé Waters nie toute pollution de ses forages
La filiale française oppose une dénégation nette : « Toutes les analyses […] contredisent l’hypothèse de la présence d’une pollution microplastique dans nos forages », a-t-elle déclaré à l’AFP. Le groupe ajoute que ses eaux « peuvent être bues en toute sécurité ». Cette ligne de défense met l’accent sur les contrôles internes et externalisés, et sur l’absence de seuil réglementaire chiffré pour les microplastiques dans l’eau destinée à la consommation humaine en France.
Un scandale inscrit dans un contexte plus large
Depuis 2024, l’industrie de l’eau en bouteille est prise dans un étau : révélations sur des traitements interdits appliqués à des eaux minérales « naturelles » (microfiltration notamment), mises en demeure préfectorales (Perrier/Vergèze), perquisition au siège français de Nestlé, et un rapport sénatorial accusant l’État d’avoir trop longtemps fermé les yeux. « Il y a eu à la fois des dysfonctionnements et certainement, en tout cas c’est ce qu’on pense, une volonté de dissimulation », résume le rapporteur Alexandre Ouizille. Nestlé affirme avoir retiré les filtrations non conformes et remis ses installations en règle à Vergèze, ce que confirment plusieurs suivis de presse économique. Le cœur du dossier microplastiques reste toutefois distinct : il ne porte pas sur un traitement illicite, mais sur une contamination alléguée d’eaux censées être « d’origine protégée ».
La bataille des méthodes
Un point décisif tiendra à la méthodologie : taille des particules détectées, spectroscopie (µ-FTIR/Raman) et/ou pyrolyse-GC/MS, contrôle des blancs et milieux, seuils de quantification. Or, l’Europe n’a pas encore fixé de valeur limite ; elle a d’abord adopté en 2024 un acte délégué définissant une méthode de mesure des microplastiques dans l’eau potable (20–5 000 µm). Problème : une part prépondérante des particules observées dans l’eau potable se situe en-dessous de 20 µm, donc hors du champ de cette première normalisation ; des travaux académiques en appellent à inclure le 1–20 µm, fraction plus susceptible de franchir la barrière intestinale. Sans publication intégrale des protocoles OFB et contre-expertises contradictoires, la discussion restera technique — et cruciale.
Ce que révèle — déjà — l’affaire
Qu’elle confirme ou non une contamination d’origine locale, l’affaire révèle l’extrême vulnérabilité du modèle « eau minérale naturelle » : pureté « à la source », interdiction de traitements de potabilisation, dépendance à des forages exposés aux pressions diffuses (déchets, ruissellements, pathogènes) et, en bout de chaîne, arbitrages politiques sur l’étiquetage et les autorisations d’exploiter. Le rapport du Sénat parle d’un impératif : « préserver la pureté » de la source à la bouteille — un principe mis à l’épreuve par la réalité du terrain et par les incitations économiques.