SFR : Comment Patrick Drahi a fait disparaître 8.6 milliards d’euros et quel avenir pour l’opérateur téléphonique ?
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Par Ryan •

Le suspens a été de courte durée. Sans surprise, le tribunal des activités économiques (le nouveau nom pour les tribunaux de commerce) de Paris a avalisé le 4 août le plan de restructuration financière d’Altice France, maison mère de SFR. Les juges consulaires ont décidé de retenir l’ensemble du plan de sauvegarde présenté par Patrick Drahi et ses créanciers et d’y intégrer les filiales SFR, SFR Fibre et Completel (filiale pour les entreprises), contrairement à ce qu’avait demandé le parquet dans ses réquisitions et ce que souhaitait le comité social et économique (CSE) du groupe.
Le marathon engagé par Patrick Drahi depuis l’été 2024 pour tenter de sauver sa fortune s’achève pour la plus grande satisfaction du milliardaire. Étranglé par les dettes sur lesquelles il a bâti tout son empire dans les télécoms, ébranlé par les affaires de corruption dans son groupe, il avait fini, après des mois de négociations, par trouver un accord avec les principaux créanciers d’Altice France en février.
La dette colossale de 24,5 milliards d’euros de la société mère de SFR serait réduite de 8,6 milliards d’euros pour tomber à 15 milliards d’euros. En contrepartie, les créanciers au nombre desquels figurent BlackRock, Elliott Investment Managment, Pimco ou Fidelity recevraient 45 % des actions d’Altice. Patrick Drahi, jusqu’alors seul maître à bord, conserverait le contrôle du groupe avec 55 % du capital.
C’est cet accord, présenté dans le cadre d’une procédure de sauvegarde accélérée, qui vient d’être homologué par le tribunal des activités économiques. La direction d’Altice s’est félicitée que son plan de restructuration financière soit accepté sans retouche et sans réserve.
« L’équation est simple : le succès de la négociation ou la fin de l’histoire », avait-elle insisté devant les juges consulaires, soulignant que tout changement remettrait en cause le fragile équilibre trouvé avec les créanciers. À la clé, il y a les 8 000 salariés du groupe en France, avait-elle rappelé.
Lors de l’audience, le parquet avait demandé que les trois principales filiales du groupe, SFR, SFR Fibre et Completel, soient exclues du champ de l’accord. Les représentants du CSE, qui ont refusé d’approuver le plan de sauvegarde présenté par la direction, soutenaient cette demande. Pour eux, ces filiales « ne sont pas endettées, n’ont jamais souscrit de crédit, n’ont jamais profité de l’argent levé par Patrick Drahi ». Elles n’avaient donc pas à se porter garantes du remboursement des dettes souscrites par leur maison mère.
L’Unsa, syndicat majoritaire dans le groupe, n’hésite pas à parler de « dévoiement du LBO » (leverage buy out – rachat d’entreprise par effet de levier) mis en place par Patrick Drahi. Aux 14,5 milliards d’euros de dettes souscrits lors du rachat de SFR, sont venus s’ajouter 10 milliards de dettes supplémentaires au fil des ans pour permettre à Patrick Drahi d’étendre son activité. Et depuis, rien n’a été remboursé.
Le parquet, s’il le souhaite, a dix jours pour faire appel de la décision du tribunal consulaire. Et cet appel est suspensif. Mais le nombre de cas où il l’a fait est extrêmement faible. De leur côté, les syndicats peuvent aussi faire appel mais ce recours n’est pas suspensif. Il fait cependant peser des incertitudes sur la suite : il est arrivé que des cours d’appel cassent des décisions des tribunaux de commerce. C’est un des derniers obstacles à affronter pour la direction de SFR.
Celle-ci a beau affirmer que la « restructuration est uniquement financière » comme le redit son communiqué publié lundi, et qu’elle n’a aucune intention de vendre, personne n’y croit. Tous les créanciers d’Altice, qui ont accepté cette renégociation dans l’espoir de se repayer plus tard par une vente à la découpe, comme tous les concurrents de SFR, sont déjà sur le pied de guerre. Tous ont déjà embauché banquiers et avocats d’affaires pour monter des dossiers de reprise.
Orange, Bouygues et Free prônent depuis plusieurs années une consolidation du marché des télécoms en France. Ils ont démarché les décideurs politiques en expliquant que la guerre des prix en France empêche de dégager une rentabilité suffisante pour amortir les infrastructures et investir dans les technologies du futur. Mais la direction européenne de la concurrence, qui voit dans le marché des télécoms en Europe un de ses succès, s’y est toujours opposée.
Le rapport Draghi sur la compétitivité en Europe a changé la donne : il encourage une consolidation du marché européen avec des groupes plus forts. Les concurrents de SFR s’activent donc, prêts à se disputer les meilleurs morceaux, voire à se revendre certaines activités. Une reprise totale de SFR par un seul acteur est toutefois impossible pour des raisons de concurrence.
D’autres acteurs, dont des concurrents de SFR, étudient aussi une offre commune de reprise. Le fonds KKR, déjà présent dans Telecom Italia, examine le dossier. Le fonds Ardian s’intéresse aux infrastructures de SFR (fibre, antennes, centres de données).
Le ministre de l’Industrie, Marc Ferracci, a déjà un scénario de découpage de SFR en tête. Début juillet, il a indiqué sur CNews que « si d’aventure des investisseurs étrangers s’intéressaient à SFR », le gouvernement serait vigilant sur « les enjeux de souveraineté ». SFR est classé opérateur d’importance vitale (OIV) par la loi de programmation militaire, ce qui donne au gouvernement des leviers d’action sur l’avenir du groupe.
Les multiples déclarations d’intérêt pour SFR ne peuvent que réjouir Patrick Drahi : il va pouvoir faire monter les enchères et arrondir sa fortune personnelle logée en Suisse. Le groupe serait valorisé autour de 23 milliards d’euros, malgré la destruction de son fonds de commerce. En 2024, il a perdu plus d’un million de clients et affiché une perte de 210 millions après plus d’un milliard de frais financiers. Tout achat trop élevé se payera cher pour les salariés.
Les syndicats ne se font pas d’illusion : la sauvegarde de l’emploi mise en avant par la direction de SFR n’est qu’un prétexte. L’addition risque d’être lourde, avec de nombreux doublons dans les activités.