Fausse équivalence, vrai calcul : quand l’extrême centre fabrique les monstres qu’il prétend combattre.LeDecryptage, LeDecryptage.fr, Le Decryptage, Extrême centre, Melenchon, Le Pen, Macron, Politique, France, fait-divers, actualités, informations, news, info, actu, monde, conflit, média, guerre
La fausse équivalence : une stratégie bien rodée.
Il y a des glissements sémantiques qui ne doivent rien à la maladresse. Quand le pouvoir en vient à placer l’extrême droite et la gauche radicale sur le même plan, il ne s’agit ni d’une confusion naïve, ni d’un simple raccourci : c’est une stratégie. Et comme toute stratégie, elle a ses fondements, ses objectifs et ses relais.
. Depuis plusieurs années, le cœur du discours présidentiel et de ses soutiens s’est déplacé : plutôt que de combattre frontalement le Rassemblement national, il s’est mis à disqualifier la gauche insoumise comme également « dangereuse », « antisémite », voire « factieuse ». Mais à y regarder de près, cette mise en parallèle est un écran de fumée — un artifice rhétorique qui vise à délégitimer toute opposition réelle, en particulier celle qui, comme LFI, attaque le cœur des choix néolibéraux.
Il semble que cette manœuvre réponde à un double objectif politicien. D’une part, elle permet de censurer ceux qui critiquent les fondements mêmes du système économique et social dominant : en les taxant d’extrémistes, on invalide par avance tout discours critique sur le néolibéralisme, la répartition des richesses, ou la politique étrangère de la France. D’autre part, elle permet de neutraliser l’extrême droite en la maintenant artificiellement haute dans les sondages, comme un épouvantail utile. Le RN devient alors un outil de stabilisation du pouvoir en place : présenté comme la seule alternative crédible, il rend tout autre choix impraticable ou suspect, et justifie par contraste le maintien du statu quo.
Quand l’« extrême centre » dissout les liens démocratiques.
Il existe une idée fondatrice en sociologie politique : toute société durable repose sur des formes de cohésion collectives, qui ne se réduisent pas à la somme des individus. Émile Durkheim, dans De la division du travail social (1893), distingue deux types de solidarité : la solidarité mécanique, propre aux sociétés traditionnelles, fondée sur la similitude des membres et une morale commune ; et la solidarité organique, propre aux sociétés modernes, dans lesquelles les individus, devenus autonomes, sont unis par la complémentarité de leurs fonctions. Or, dans cette seconde forme de société, où l’individualisme s’intensifie et les appartenances deviennent fragmentées, il devient vital de créer des espaces de médiation collective, capables de produire du lien, du sens, du récit partagé.
C’est dans cette perspective que les partis politiques modernes, et notamment les grands partis de masse, ont joué un rôle structurant. Le Parti communiste français, pour ne citer que lui, n’était pas qu’un appareil électoral : il fut une micro-société à l’intérieur de la société, avec ses rites, ses journaux, ses écoles de formation, ses fêtes, ses bibliothèques, ses symboles et son vocabulaire propre. Il articulait les colères dispersées en luttes communes, il liait les biographies individuelles à une histoire plus large, il construisait un « nous » politique en temps de guerre comme en temps de paix.
Autrement dit, les partis ne servaient pas seulement à représenter des intérêts dans les institutions : ils forgeaient de la conscience collective dans un monde de plus en plus morcelé. Ils avaient une fonction intégrative, équivalente aux anciennes appartenances religieuses ou communautaires. Ils étaient, dans la société organique décrite par Durkheim, des organes vitaux de socialisation politique, capables d’unifier les représentations et d’orienter les pratiques dans un sens commun.
Or, ce rôle fondamental est aujourd’hui mis en péril — non pas seulement par le désintérêt des citoyens, ni même par la montée des populismes, mais par une stratégie doctrinale plus insidieuse : la domination de l’« extrême centre ». L’extrême centre est une doctrine de dissolution.